REDLINE de TAKESHI KOIKE (2010)
(REDLINE est disponible en France chez l'excellent éditeur KAZE en dvd et en Blu ray. Je vous conseille fortement de faire l'expérience du film de Takeshi Koike en haute définition afin d'apprécier à sa juste valeur le travail gigantesque abattu par les animateurs et l'équipe du film!)
Dans un futur proche, malgré le fait que la technologie permette aujourd'hui aux véhicules de voler, des fous du volant embarqués à bord de bolides traditionnels continuent de s'affronter dans des courses infernales et clandestines où tous les coups sont permis totalement interdites par le gouvernement.
C'est le cas de JP, un pilote qui au contraire des autres refuse obstinément d'avoir recours à des méthodes frauduleuses et agressives pour gagner, préférant concourir à la régulière dans les règles de l'art.
Non seulement cette ligne de conduite lui complique énormément la tâche et lui vaut même le sobriquet de "gentil JP", ses adversaires eux n'hésitant pas à surarmer leurs bolides, mais il conduit de plus à son insu un véhicule trafiqué par son coéquipier également mécano qui fricote dans son dos avec la mafia afin de truquer les courses dans le but de faire monter les enjeux des paris.
Il va bientôt faire la connaissance d'une jolie pilote, Sonoshee, dont il va tomber amoureux, prête à tout pour remporter les épreuves et qui partage comme lui une certaine vision similaire de ce sport extrême, et va bientôt participer à la course ultime la plus mythique de la galaxie : la REDLINE!
Sept ans, il aura fallu sept longues années de dur labeur pour que REDLINE voit le jour sous l'impulsion d'un des maîtres de l'animation les plus fous et révolutionnaires du genre Takeshi Koike (à qui l'on doit l'épisode RECORD DU MONDE dans ANIMATRIX, la séquence animée démentielle de KILL BILL ou encore la série AFRO SAMOURAÏ) et de l'inventif et anticonformiste Katsuhito Ishii (PARTY 7 et TRAVA).
Attendu comme la venue du Messie sur terre par les fans d'animation, REDLINE aura su susciter tous les fantasmes, annoncé lors de son développement comme le renouveau de l'animation japonaise par le studio mythique MADHOUSE, comme étant la prochaine étape de ce mode d'expression encore aujourd'hui trop sujet à des a priori en Occident par les détracteurs du format, une sorte de projet ultime précurseur représentatif de ce que le pays du Soleil Levant va nous livrer dans les dix voire les vingt prochaines années. C'est dire si les enjeux dépassent allégrement la simple envie des intervenants de REDLINE de divertir le spectateur!
Autant mettre fin au suspense immédiatement, d'un point de vue général REDLINE s'avère effectivement être une des expériences animées visuelles les plus hallucinantes et hallucinées jamais vues depuis longtemps sur grand écran, un sommet du genre qui dépasse même à ce niveau toute les attentes des férus d'animation comme promis par le studio... Oui mais malheureusement si la forme est effectivement révolutionnaire le fond en revanche souffre de beaucoup trop de défauts symptomatiques de l'industrie japonaise actuelle. Explications!
Visuellement donc, REDLINE s'offre une qualité d'animation hors norme, une mise en forme exceptionnellement sublime, chaque plan du film fourmillant de détails qui confine à la folie pure, à l'obsession de la part des artistes ayant oeuvré sur le film de démontrer leur envie de dépasser les limites du format de ce mode d'expression, d'exploser son cadre réducteur trop étriqué pour afficher et magnifier la richesse du monde dépeinte ici de manière ébouriffante dans le soin d'offrir aux spectateurs ce qui a été promis : une expérience unique en son genre, une montée crescendo perpétuelle plan après plan de vouloir aller plus haut et plus loin dans cette représentation de l'imitation de la vie qui plus est appliquée à un univers fantastique inventif faisant la part belle aux créatures bigarrées au design extrêmement travaillé et à la crédibilité tangible.
Dès son début détonnant montrant une de ces fameuses courses sans limite sur le dangereux circuit escarpé de Yellowline, les véhicules affichent une mise en valeur proprement fascinante, détaillés jusque dans leurs moindres rouages, sublimés par une mise en couleur et des textures magnifiant chaque carrosserie, chaque boulon et piston, la sensation de vitesse étant de plus retranscrite avec fureur et extase à l'écran, les limites physiques des matériaux étant littéralement déformées et dilatées à l'extrême afin de susciter un maximum de sensations signifiant une vélocité hors norme explosant les limites du concevable et du raisonnable, le rendu des course-poursuites infernales exaltant la rétine à chaque image, ces dernières défilant à une vitesse vertigineuses et proprement hallucinatoires, à la limite de l'abstraction totale.
Il suffit de quelques minutes pour se retrouver happé par cette mise en scène et ce découpage des plans aussi syncopé que survolté, à l'exercice de style souhaitant constamment aller plus loin d'un plan à l'autre, et forcément qui laissera sur le bord de la route une partie du public qui risque de se retrouver noyé et saturé par ce tourbillon incessant de couleurs et cette représentation sous LSD de la vitesse pure déraisonnable qui exacerbe le besoin inhérent de ces pilotes sans peur de défier les lois de la gravité elle-même, dans le but inavoué de tendre à la liberté totale dans un dépassement de soi quasi-spirituel.
Inutile de dire que le fait que l'animation est ici faite uniquement "à la main" rajoute forcément une certaine fascination supplémentaire pour le résultat exceptionnel de cette expérience presque trop riche pour être perçue et intégrée par la perception normale du commun des spectateurs, et participe grandement à nous laisser la mâchoire ouverte devant ce tour de force artistique hors du commun et proprement surhumain .
De ce point de vue, il est impossible de ne pas succomber à REDLINE tant le travail abattu suscite l'admiration constante, surtout pour le connaisseur qui ici se retrouve à dénombrer la multitude de détails affichés et animés traditionnellement à l'image, forcément ébloui et subjugué par ce soin irréprochable et effectivement révolutionnaire annoncé par ce projet fou furieux qui plus est appuyé par une bande sonore explosive, chaque vrombissement de moteur participant également à amplifier les sensations fortes et à prodiguer une expérience sensitive intensément surréaliste... Oui, mais ô désespoir il y a un mais, et de taille!
C'est malheureusement au détriment du fond ouvertement sacrifié que la forme a été largement privilégiée, un constat de plus en plus représentatif de la direction que l'industrie de l'animation japonaise prend depuis sa démocratisation à la fin des années 90, que le genre s'est ouvert au marché international, un symptôme latent qui se met de plus en plus à contaminer les créatifs nippons les plus prestigieux désireux d'exporter leurs œuvres (pas forcément uniquement dans ce domaine par ailleurs mais également dans celui des jeux vidéo et même du cinéma traditionnel) dans cette envie de toucher un public plus large en faisant de l'œil à l'Occident en créant des personnages de plus en plus facilement identifiables par ce public et reflétant les goûts de ces marchés extérieurs, perdant de ce fait au passage leur identité japonaise si particulière qui octroyait un charme infiniment plus dépaysant voire "exotique" aux œuvres Japonaises.
C'est le cas ici dans le traitement des personnages principaux, à commencer par son héros JP, physiquement sorte de rocker arborant une banane qui rendrait fou de jalousie Fonzie de HAPPY DAYS! Ce personnage à la droiture exemplaire (surnommé littéralement JP le gentil pour bien nous le faire comprendre!) affiche une classe qui renvoit à l'imagerie des héros américains des années 50, un look de bad boy censé être excentrique et borderline certes loin des standards graphiques propres à l'animation japonaise mais finalement bien trop formel pour nous occidentaux, presque trop caricatural même jusque dans sa dégaine, ses postures et son attitude "à la cool".
Il en va de même pour Sonoshee, une jeune femme également pilote chevronnée au caractère bien trempé dont JP s'est évidement amouraché, et qui si elle affiche bien des signes extérieurs physiques typiques de l'imagerie "Manga" (des cheveux verts, des grands yeux etc etc...) n'en reste pas moins une héroïne aux formes sexy et à l'attitude désinhibée plus proche des canons occidentaux. Ce design et cet aspect visuel ne serait pas si handicapant (d'autres anime utilisent une codification occidentale avec beaucoup d'invention comme COWBOY BEBOP par exemple) si concernant leur émotion et leur relation les protagonistes ne se comportaient pas de façon aussi linéaire, à la limite du binaire le tout étant beaucoup trop ramené à des enjeux d'une simplicité trop naïve (on se croirait presque dans la logique amoureuse de GREASE!!!)
On peut aussi s'étonner d'un autre détail plutôt surprenant et incongru : REDLINE, s'il fait entre autre référence à des jeux vidéo comme F-ZERO ou WIPE OUT, semble surtout être très influencé par la logique narrative et visuelle particulière de SPEED RACER (le film live des frères Wachowskis et non l'anime d'origine japonaise dont ce dernier est tiré) les deux métrages partageant de trop nombreux points communs qui dépassent les simples coïncidences (Un héros au cœur pur face aux manigances d'un système corrompu, une amourette liée aux sensations même procurées lors des courses, une envie de gagner la course dans le respect des règles) copier-coller jusque dans leur retranscription survoltée et sublimée du rendu de la vitesse... Un comble de voir qu'un anime japonais s'inspire d'un film live américain tiré lui-même à la base d'un anime japonais!
Si la diversité visuelle est bien présente pour représenter la population extraterrestres diverse et variée, les psychologies des personnages secondaires, elles, de manière générale sont trop effleurées empêchant que l'on s'attache durablement, ces derniers n'étant pas assez développés à l'écran malgré des présentations (trop) longues de chaque intervenant mais ennuyeuses et bavardes. On touche alors au vrai problème du film, celui de la narration bordélique multipliant les sous-intrigues auxquelles il est difficile de s'intéresser, du développement de sa trame principale parsemée de trop d'éléments inutiles (un side kick qui magouille avec la mafia, une arme biologique lâchée en pleine course par le gouvernement qui sème la destruction) et dont les enjeux dramatiques sont d'ailleurs expédiés en deux temps trois mouvements voire parfois carrément abandonnés en cour de route sans plus d'explications.
Forcément au milieu de ce déferlement d'images éblouissantes cela fait tache et déçoit profondément, même si l'expérience reste si unique en son genre qu'on finit (une fois ce constat fait et digéré) par adhérer au métrage de Takeshi Koike, qui reste quoi qu'il en soit une œuvre aux excès jubilatoires visuels ultra-jouissive et nous laisse irrémédiablement marqués par cette idée touchante de voir les deux héros souhaitant simplement via ces courses dépasser les interdits, les limites humaines sportives et quasi-spirituelles afin d'atteindre un état d'apesanteur où ils deviennent intouchables en franchissant la ligne d'arrivée symbolique, atteignant alors la liberté dans son sens le plus pur et le plus noble du terme, dans un état transi proche de l'orgasme et survolté par l'extase suprême qui en découle en cet instant T.
NOTE GLOBALE : 15/20
DÉDICACE À NICOLAS MOREIRA ET CÉDRIC CHEYSSAC, DEUX ARTISTES TALENTUEUX QUI ME FONT RÊVER À TRAVERS LEURS DESSINS ET LEUR IMAGINAIRE DÉBORDANT!
Luke Iron Mars